chambre 6

Pèlerinage.
Comme portée, rassurée par des repères symboliques. J’avais expressément précisé vouloir réserver la chambre où je l’avais attendu, presque une année plus tôt.
« Reviens reviens… » En insistant pour m’accueillir à la gare Saint Charles.
« Cette fois ci, je ne veux pas louper un seul instant avec toi », m’a-t-il écrit.
Cette fois ci, je venais pour lui…
Chacun sa vie, nous étions restés discrets. Aucune promesse non plus. Parfois un « Comment vas-tu? « , le partage d’une photo. Un entretien minimum du lien, qui m’avait d’abord paru tenir davantage d’une sorte de retenue, de timidité même. J’ai toujours peur que ma curiosité boulimique effraie ces hommes qui portent sur eux leur discrétion, dans leur posture, leur allure, leur phrasé. Mes questions pourraient jaillir en flots torrentiels et les faire fuir. Les gens aiment qu’on s’intéresse à eux, mais, sur la vie parallèle, toute joyeuse et décomplexée soit-elle, plane le spectre malsain de l’infidélité et son corollaire « jalousie »… Non, je ne me rêve pas en protagoniste d’une pièce de Labiche, et ne cherche pas une autre vie passionnelle. Mais je savoure ma chance de pouvoir vivre à 200% ces parenthèses magiques, d’une liberté rare, sans contrat. Alors je les protège, précieusement, discrètement…

Le TGV m’a entraînée dans un sommeil suspendu. Il est 18 heures quand le soleil du sud chauffe mon arrivée reposée. Il est là, un sourire aux lèvres, que je qualifie de taquin, adossé à la balustrade sur laquelle m’attendent une rose, et du vin rouge bio du Domaine d’Eole servi dans un verre à pied… Mes solaires assurent ma contenance, car je n’en mène jamais bien large quand un homme a la générosité surprenante. Un peu grandiloquente aussi. Une rose… Que dire? Autour, les regards nous sourient. J’aime que sa gourmandise excite la mienne. Avec lui, je ne compte pas les calories.
Nous trinquons et son regard me fouille. Bon sang, j’ai plus d’assurance avec les hommes des applis… Joue collée à sa poitrine dont le parfum excite ma langue. Déjà, je sens que je décolle du sol, que je retrouve la sensation délicieuse d’accepter de me laisser totalement porter.
Dans un tourbillon, tout est allé si vite.
4 jours, 5 nuits, d’une facilité inouïe. Où les silences prennent un sens déconcertant, chargés de la joie simple d’être ensemble, de se comprendre sans se livrer, comme éviter aussi le risque de la déception de trop savoir. Non pas pour l’entretien d’un mystère sexy, mais plutôt parce que nous avons la conscience précise que notre plaisir se diffuse dans une dimension parallèle, en dehors de la trivialité des marqueurs sociaux, des parcours de vie. Avec lui, ma curiosité ne venait pas se mettre à l’avant-plan, mais s’effaçait, « mise en veille car non utilisée ». Avec lui, c’était possible. Collés, soudés, sur un lit ou sur une île, sans parler, sans nous dire.
J’aurais pu chercher et lire des indices, comme à mon habitude, mais cette espèce de neutralité était justement le socle de notre plaisir particulier, unique, le notre. Sans mise au point, ni brainstorming préalable.
Nos corps s’appelaient avec la sensation que tous mes poils se crochetaient aux siens dans une fusion indescriptible, en vagues de fureur puis de douceur, quand ce n’était pas l’inverse.
La chambre 6 comme un caisson sensoriel. Seuls en une seule entité, loin de tout, protégée de tout. Une bulle que, sans mots, nous avions spontanément créée, parce que, ensemble, c’était l’évidence de notre point de joie. Nul besoin d’analyser, de commenter, juste… le vivre.

À nouveau son baiser carnivore sur l’esplanade de la gare.
Et la bavarde que je suis, sait qu’il est inutile de dire, extatique, combien c’était bien, l’évidence se passe ici de ces mots, dont, « habituellement », je me délecte.
Aucune tristesse, ni frustration, ni ennui.
Gorgée, remplie, et incroyablement légère. A la fois épuisée et détendue.
Aucune promesse.
Nous nous laisserons guider, sans provoquer.

Mais, si je reprends le train, ce sera avec cette certitude:
« La 6, s’il vous plait, promettez moi la 6 ».

Comme si l’on se cachait
Comme des dealers vendus
Comme des dés, des évadés
Comme des oiseaux chassés

M’enfermer avec toi et puis fermer la porte à clef
Et bloquer la serrure et ne penser à rien
Devant le papier peint
M’enfermer avec toi
Ah !
(Charlélie Couture)

Un avis sur “chambre 6

  1. Si très tellement léger, et décollés nous mêmes du sol, nous flottons, ravis, repus de vos mots et de votre propre légèreté.

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