Attention fragile

(Feat. Bernard Lavilliers)

Je laisserai le lit comme elle l’a laissé
Défait et rompu, les draps emmêlés
Afin que l’empreinte de son corps
Reste gravée dans le décor…
Attention fragile
Attention fragile

Le drap de nos nuits m’enveloppe encore de nos odeurs, la nuisette que je portais sous tes assauts ne sera plus jamais lavée, de même que le tee-shirt que je te rapporte régulièrement pour que tu le recharges du parfum de ta peau. Notre brûlant week-end laisse les tissus imbibés de nos sueurs et nos jus. Narines dilatées, je m’y étouffe en actionnant la vibration au maximum.

Voilà, c’est reparti pour de longues semaines d’attente. De plus en plus difficiles à supporter, surtout quand tu te fais flou, quand tu joues du mystère de ta vie.
Penser alors à tout quitter pour remplir la mienne d’autres odeurs, d’autres voix…
Mais non, je m’obstine, en regardant, frissonnante, s’estomper les marques dont tu as parsemé ma peau. Chacune d’entre elles me ramène à ton lit, à ton canapé, à ton entrée, au banc près du parc, à la balustrade le long de la Seine, à cette pelouse de l’autre côté du pont…
Sais-tu que j’ai toujours espéré te revoir avant qu’elles ne disparaissent ? Mais tu t’en vas épuiser d’autres corps, réclamer d’autres « je t’aime », dans d’autres bouches… Amoureux de l’amour, ta drogue, je sais et je comprends. Un harem d’amoureuses éperdues, ton addiction, je ne savais pas mais je pouvais comprendre.
Tu jongles avec les corps, tu lances, tu rattrapes, tu relances… mais tu laisses parfois échapper l’une de tes balles, qui s’en va rebondir au loin… Si loin qu’un autre l’attrape dans sa fuite, en plein rebond ou roulant loin de ta surveillance… Ben oui, ta mécanique déraille parfois,c’est compliqué de tout gérer. Ta petite entreprise si bien rodée a des ratés, et là, ouille, les amoureuses morflent…

Roulée boulée.
Moi, je ne savais pas rebondir, et je voulais rester dans ta main. Je te croyais quand tu disais que j’étais la seule avec laquelle tu jouais, que tu malaxais, que tu lançais haut pour la rattraper, à tous les coups. Simple et précieuse, celle qu’on ne perd pas, celle qu’on protège pour qu’elle ne s’abîme pas…
Mais on ne jongle pas avec une seule balle, petite naïve !

Fragile.
J’ai sniffé encore dans nos draps les derniers effluves de ton foutre, dont j’ai joui jusqu’à en perdre l’odorat.
J’ai rêvé et espéré dans les traces de ta sueur jusqu’à la disparition des bleus de tes crocs et de tes griffes sur ma peau.

Au bout du quai tombe le jour
Je reste là sentant l’amour
Attention fragile
Attention fragile

Réveil.
Un matin, j’ai mis le drap dans la machine à laver. Je sens une autre main qui m’entoure, me soupèse, me triture, me malaxe, m’envoie en l’air… D’autres jeux.

M’envoyer en l’air.
Je suis une balle multicolore, lumineuse et paillettée, nourrie de nous, gavée de nos folies, et renforcée par nos colères. Je rebondis de plus en plus vite, de plus en plus haut, de plus en plus loin…
Une superballe, bordel.
Mais, attention !
Toujours fragile.

(Bernard Lavilliers)

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