Do not disturb

Te souviens-tu de notre grande époque ?
Combien de chambres d’hôtels… Dans combien de villes… Combien de nuits blanches, combien de fous rires, et de petits matins à répéter que ça passe toujours trop vite… Combien de bouteilles vides…
Je volais les panneaux « Ne pas déranger ».
Tu disais souvent que nous deux « ce n’est pas pareil »…
Points de suspension.
Le temps était suspendu.
Notre grande époque.
Même pas l’espace pour nous impatienter, pour douter, pour oublier: nos plannings, nos familles, nos amis, nos vies faisaient un boulevard à nos envies ! Easy, toujours tellement simple.
J’aimais arriver avant toi, et jouer à t’exciter. Dans ces chambres, j’ai peut-être fait mes plus belles photos. L’attente me galvanisait, me brûlait, m’inspirait.
Si la fenêtre l’autorisait, j’observais ton arrivée, l’allure de l’homme qui joue, qui va jouir, qui jouit déjà de vivre ça. Ces quelques instants, après le long trajet, juste avant notre premier regard, notre premier baiser, ces délicieuses secondes pleines des promesses de plaisir, de folie, de communion totale. Tout glissait. Sans contrat, sans « je t’aime », et pourtant…

Que s’est-il passé pour que la vie, un jour, nous éloigne, sans qu’on voit le coup arriver ? Une première annulation, un premier empêchement, des bobos, des soucis, des accidents de parcours. On reporte, encore, puis encore.
Et puis, cette satanée mise à l’écart, ce pass à la con, ces attestations, ces autorisations, ce périmètre de déplacement… et le virtuel qui s’essouffle.
La vie nous a gommés.

Dans ma boite aux lettres, un panneau « Do not disturb ». J’ai reconnu ton écriture, quoi, cinq ans après ?
Un nouveau 06, une date et une adresse.
Hôtel Littéraire G.Flaubert, rue du Vieux Palais, Rouen. Évidemment, tu soignes ton retour…
Je t’envoie cette photo, souvenir d’une si belle attente. Le Grand-Quevilly, 24 mai 2018.
C’est inutile d’écrire que je viens, tu comprendras.
Mais cette fois, c’est toi qui m’attendras.
Aucune amertume, aucun reproche, nous ne parlerons pas de ce vide, ni des rides. J’ai perdu du poids puis tout repris, alors cette photo me ressemble encore, je crois. Mais tu découvriras mes cheveux gris, quand tu les aimais courts et blonds. De toutes façons, maintenant je m’en fous, je prends, je vis, je jouis, je ne me cache plus, et je ne me déguise plus pour séduire un homme.
Mais surtout, je n’attends plus.
Ne me demande pas pourquoi, je ne te dirai rien du tsunami qui m’a emportée, de la tornade qui m’a soulevée, du séisme dont je me suis relevée.
Si tu me trouves différente, ne dis rien.
Si tu me sens moins douce, ne réclame pas nos caresses d’avant.
Prends moi seulement dans tes bras.
Baise moi fort.
Et si je pleure, c’est que tu es l’homme de la situation.

Merci.
Ma collection s’est enrichie d’un nouveau panneau.
N’hésite plus, plus jamais, à me « disturber »…

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