un autre regard

Il revient.
Il est rare, parce que nous voulons tous deux qu’il en soit ainsi. Juste quelques heures, cinq, en moyenne. Nous évoluons alors dans une bulle de douceur particulièrement troublante. Délicieuse, sans promesse.
Il ne vient pas pour se vider les couilles. Ça fait là une sacrée grosse différence, et la raison de mon trouble.
Je suis accro à des monstres qui me font languir, des semaines, des mois, dans l’attente du claquement de leurs doigts qui me fera ramper à leurs pieds. Humer leurs si belles couilles et leur ouvrir mon cul. Ça me shoote. Même si je sais que je (ne) suis (que) leur jouet.
Mais j’aime, d’une estime pleine de reconnaissance, ces hommes qui s’investissent, s’engagent, viennent à moi, et non l’inverse, prennent le temps, sur ce petit temps, de nous raconter, de nous dire, de m’écouter et de se livrer. Ils en ont besoin, autant que moi. Nous refermerons ensuite la parenthèse, souvent pour des mois. IIs savent que d’autres viendront jouer leurs partitions et, de leur côté, ils aiment des musiques différentes de la mienne.
Les monstres se cachent. Ils prennent mais ne donnent pas. Et moi, je les veux, encore, encore, je résiste à leur posture de mâles gonflés de mépris, dans l’espoir de bribes de confessions, que je saurai capter, en creux entre leurs assauts de taureaux furieux.
Il a sorti son reflex, et de sa voix douce m’a demandé si j’acceptais qu’il me photographie. C’était la deuxième ou la troisième fois que tu venais chez moi ? En pleine journée, un aller-retour depuis Paris, rentré avant que sa compagne ne s’inquiète, parti avant que je reprenne ma vie d’épouse.
Ces hommes, que je viens chercher à la gare. Les entraînant d’abord dans une longue marche sur le front de mer pour prendre le temps des mots subtils, le temps d’installer une douce attente. Quand, avec les monstres, la déchirure brûlante chasse d’emblée l’étape préliminaire. Entre deux voitures, dans l’ascenseur, contre une porte.
Les hommes qui viennent savent attendre.
Du yin et du yang, pour mes facettes pile et face.
Les monstres diront de ces hommes patients qu’ils ne viennent que pour se vider, qu’ils sont pitoyables de faire la route pour se décharger. Eux, se sentent si forts qu’une chienne accourt quand leurs couilles les démangent. Supérieurs, bien sûr.
Les hommes qui viennent savent me voir et donner.
Les monstres ne font pas dans la dentelle. Brutes. J’aime ça.
Les hommes qui viennent pianotent des mélodies sensuelles en pointillés légers. Et j’aime aussi ce qu’ils me jouent.

Je ne savais pas ce qu’il prenait en photo. Il me parlait doucement, comme pour m’apprivoiser, moi, l’ogresse des baises brutales à même le béton, des amalgames douteux devant les miroirs des clubs, des partouzes d’appart-hôtels de banlieue, je me mettais en boule, vraiment nue, nue complètement, devant son oeil-objectif.
Zooms émouvants, détails épidermiques, plis, chair.
Un autre regard, celui d’un homme patient, un homme qui vient, un homme-pansement, un homme-onguent, un médic’amant…

Comme poussés par la même conscience que trop de mois ont passé, dans le silence discret de ceux qui se savent là, l’un pour l’autre, pour quand le bon moment viendra: maintenant. Reviens me prendre dans ma fragilité, assemble mon puzzle, je suis en vrac, en pièces détachées, encore une fois les monstres ont foutu un gros bordel. Recolle mes morceaux, en mélangeant nos mots… Je veux gémir de ta bouche, tes locks drues frottant ma peau fine, au creux de mes cuisses.
Et répare moi encore de ton regard, montre moi ce que tu vois, dis moi ce qui te fait monter dans un train, rouler jusqu’à moi, route plus longue que ce temps que nous volons à nos vies, dis moi…

Il m’a envoyé ce qu’il avait vu. Et si je ne me suis pas « reconnue », ce qu’il m’a montré m’a rassurée. Courbes douces et doigts légers, corps moelleux un peu gêné de se livrer, dunes de chair accueillante et fondante, peau blanche doucement marquée par les stigmates de son âge..
Aujourd’hui, je veux être cette femme.
Celle de ce regard là.
(J’ai dit « aujourd’hui », pas forcément demain…)
Reviens!

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