Café de Flore

J’aime les rituels, ces pointillés souvent dérisoires qui rythment une histoire, qui rassurent et rendent l’instant joliment précieux. Petite cérémonie qui se doit d’être toujours jouée à l’identique, un endroit, où il me faut toujours revenir, pour y boire, y manger, y faire toujours la même chose, comme par superstition…
J’aime les rituels. Monter, à chacun de mes passages parisiens, sous l’Arche de la Défense, m’assoir exactement au milieu de la dernière marche, déguster un café à emporter, face à la longue perspective. Méditer.
J’aime les rituels.
Nous avons trouvé le notre, n’est-ce pas ? Notre cérémonie, notre prélude, notre repère,  comme un pacte qui ne se dit pas, un lien tissé serré dont l’entretien procure un bonheur simple, un protocole, écrit ensemble, qui nous ressemble et nous rassemble.

Comme j’ai du mal à vous dire « tu ». De visu, le « tu » jaillit, mais le « vous » est tellement érotique à l’écrit…
Monsieur, je veux des chips au poivre et de la Meteor mousseuse au Café de Flore, encore, encore ! J’en piaffe comme une gamine ravie de s’en lécher les babines ! Encore, encore !
Et puis, manger à pleins doigts du fromage et de la charcuterie, parler la bouche pleine, intarissable, ivre de vous…
Vous qui m’autorisez à vous noyer dans mon flot de mots, à vous chanter mes fredaines sans les passer au filtre d’une retenue de circonstance, que je ne saurais pas tenir bien longtemps. J’aimerais être élégante et lente, je suis bulldozer lancé à grande vitesse…
Votre expression rassurante, votre écoute patiente…
Après, j’ai honte.
Honte de mes déversements désordonnés, essoufflée de vouloir tout dire, tout vous dire, me confesser ?
Amen.
Vous, si peu. Vous, trop peu. Je parle, je parle, je parle.
Que dire de vos yeux ?
Amusés, effarés, curieux, bienveillants, absorbants, rieurs, francs…
Je déballe et je me fais peur. Pressée d’en dire le plus possible. Vous si rare.
Vous me faites du bien.
Et puis, je m’interroge, pourquoi ?
Je vous ai trouvé.
Nos genoux encastrés. Soudain, vous avez attrapé ma main sous la petite table ronde au plateau de marbre, et ma phrase s’est suspendue. Avant que je recompose une contenance… Ne pas montrer si fort mon trouble.

Combien de kilomètres jusqu’à votre hôtel ?
3,5 kilomètres… J’ai regretté la frime rock de mes bottines rouges à talons hauts. Mais que c’était bon de remonter l’avenue de l’Opéra, en léchant une Häagen-Dazs dégoulinante de mon babillage ininterrompu. Demain, j’aurai mal aux mollets.

Entre le Moulin-Rouge et les Merveilleux de Fred, un écrin comme une maison close, baroque et décalé.
Vous vous êtes laissé faire. Yeux fermés, je vous ressentais, sous mes doigts gorgés d’huile. Puis… sous toute ma peau, par tous mes pores, à vif, partout, me fondre en vous…
J’ai dansé, dansé, seulement dansé, sans musique autre que celle de nos souffles synchronisés…
Votre peau, vos courbes, votre moelleux, pour une enivrante « oil humping dance », perdus si loin dans la nuit de Pigalle…
Juste dansé… seulement dansé…

Votre bassin soudain s’est soulevé en légères saccades, et votre plaisir gluant s’est mélangée à l’huile dont nos corps tout entiers suintaient. Vos poils retenaient mon plaisir-flaque…
J’ai sombré, profond. Minuit était déjà un lointain souvenir. Abandon confiant.

Courte et douce fut notre nuit.
Métro Blanche, un dernier regard.
J’ai mal aux pieds.
On n’attend pas 2 ans pour recommencer, hein, promis ?
Combien de fois te l’ai-je demandé en ces quelques 15 heures d’ivresse ? Je radote.
J’ai honte.

Je suis repartie là-haut dans le brouillard, il a bifurqué  vers le Far East.
A partir de combien de fois peut-on dire qu’il s’agit d’un « rituel »?
Avant vous, je n’étais jamais allée m’assoir au Café de Flore, et n’avais jamais goûté à la Meteor…
Avec vous, je m’y pose, totalement.
À vous, sur cette terrasse, je me montre, vraiment.

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