Très cher voisin

C’était l’été.
Merci à vous qui avez si joliment agrémenté mes quelques nuits de vacances.
Location. Toujours nue dans la maison. Canicule.
Dans la rue, j’ai bien surpris votre regard, votre sourire, mais j’ai pensé que je me faisais un film, celui de la femme en fugue, au corps trop longtemps délaissé, alanguie, à poil sous les feuillages, à l’ombre d’un soleil de plomb… Séduisant, assurément, même si je sais que l’été a toujours tendance à altérer mon jugement. La première fois, donc, vous n’avez rien dit.
Seule, glaçons frottés à même la peau…
Merde, pourquoi suis-je venue me poser ici ? Je ne me souvenais plus quel ras-le-bol m’avait inspiré cette parenthèse solitaire…

« Avec cette chaleur, on ne supporte plus le moindre vêtement, n’est-ce pas ? »
Vos paroles auraient dû me mettre la puce à l’oreille, lorsque nous nous sommes à nouveau croisés, entre les rayons de la petite épicerie. Mais c’est seulement un peu plus tard que j’ai su les interpréter, quand, de retour à la maison, porte d’entrée à peine franchie, je me suis débarrassée de ma robe dos nu, légère mais trempée de ma courte sortie à l’extérieur, sous la morsure du soleil. Je réalisais, avec gourmandise, que vous aviez assisté, à mon insu, à mon exhibition nocturne de la veille. Totalement nue, je n’avais fermé ni volets, ni fenêtres, protégée, sans y avoir véritablement réfléchi, par le feuillage épais ombrageant le petit jardin et la terrasse. Ainsi, vous m’aviez regardée, Monsieur mon voisin ? Ma soirée dilettante avait donc glissé en CinemaScope entre les grandes baies, dans le vis-à-vis indiscret qui se frayait un passage entre les branches…
L’apprendre me sortait soudain de ma retraite léthargique, et le soir même, je me mis à en jouer.
Jouer, comme si je ne savais rien de votre regard, entièrement déshabillée.
Une bouteille de vin frais. D’abord, faire mine d’être concentrée sur mon écran. Puis, sur la musique, danser, légèrement ivre, dans la douceur de la nuit tout juste tombée.
Comme si j’étais seule… Mais ma solitude était-elle encore vraiment crédible ?

Mes doigts se sont affolés, corps humide, je jouissais de votre présence fantasmée. J’ai étiré le temps, ralenti mes gestes, prolongé mon plaisir, espérant votre regard, espérant ma porte s’ouvrant doucement, espérant vos mains, dans le silence de nos mots inutiles.
Terminé le vin. Alanguie sur le canapé, épuisée d’orgasmes pas si solitaires, quand bien même vous ne m’auriez accompagnée que dans mes seules pensées, repue de frissons, je glissais dans une longue nuit érotique.
Mon séjour prenait une toute autre tournure.

Malgré la chaleur, pressée de sortir vous chercher dans les ruelles, au marché, au bistrot, à l’épicerie… Vainement.
À mon retour, bredouille mais légère, une surprise m’attendait sur le pas de ma porte : une bouteille de vin blanc, avec ces mots « À mettre au frais, et attendre ce soir pour la déguster ».
J’ai attendu, pensant que nous la déboucherions ensemble. J’ai pesté intérieurement, puis ri sous cape, vous inventant un jeu d’emprise, joli pervers jouant depuis un poste d’observation plongé dans la pénombre, ou bien, plus prosaïquement, vous imaginant avec femme et enfants, et une excitation palpitante mais, de ce fait, discrète, à la dérobée, peut-être encore meilleure…
Alors, j’ai bu, seule, en guettant les bruits de la nuit. Rien ne me parvenant de votre propriété, j’ai choisi de croire à votre solitude et opté pour le jeu du voyeur qui fait durer son plaisir.
De mon côté, mon compagnon électrique avait fait le voyage et accompli son œuvre avec une efficacité jamais démentie, exacerbée par le regard lubrique que je me plaisais à vous imaginer poser sur moi.

J 4.
Je regrettais déjà que ma fugue ne dure qu’une semaine. Pourtant je ne faisais rien d’autre que boire, me masturber, et arpenter le village à votre recherche. Quand bien même, finalement, vous ne me toucheriez jamais autrement que des yeux, vous savoir là, pas loin, me transportait, et ne nourrissait pas uniquement mon imagination…

3 jours encore.
Ma décision était prise de cesser de vous espérer, mais de mettre à profit ma liberté estivale ainsi que l’appétit érotique vous m’aviez ouvert.
Une annonce, « libre ce soir », l’embarras du choix, un resto, et j’ai ramené un bel oiseau dans mon jardin. En faisant bien attention à vous permettre de ne pas en perdre une miette, je l’ai entrepris de multiples acrobaties, à même la terrasse, où il a su me faire chanter toutes les vocalises d’un plaisir porté par notre trio imaginaire.

J 5.
En sortant acheter des fruits au marché, juste avant que les étals soient démontés, j’ai trouvé une nouvelle bouteille devant ma porte, « Celle-ci, nous allons la partager ».
Ce soir ? Quelle heure ? J’avais bien affaire à un joueur, un pervers, qui savait jouer avec mes nerfs. Eh bien soit, jouons encore !
J’ai sillonné les alentours malgré la chaleur écrasante, pique-niquant frugalement, à l’ombre près d’une rivière quasi à sec, flânant dans les rues commerçantes de la petite ville la plus proche. Rentrant seulement quand le jour déclinait.
Quelques minutes plus tard, il ouvrait la porte, qu’il avait deviné que je ne fermerais pas à clé.

La suite ?
Aucune question. Quelques heures, même pas une nuit, peau moite de ma journée sans me laisser le temps d’un passage sous la douche… Il m’a entraînée fermement à l’endroit exact où, la veille, j’avais fait mon show, puis a pris les rênes d’une cavalcade forcenée, entrecoupée par un verre tiré de la bouteille qu’il sortit lui-même du réfrigérateur, trouvant sans chercher le tire-bouchon…

Quand il partit aussi furtivement qu’il était entré, je n’étais plus que lac, rivière, flaque, d’abord agitée, soulevée puis laissée totalement exsangue, plate, tout à la fois vidée et remplie.
J’ai terminé seule la bouteille, repartant dans un flot imaginaire… Était-il le propriétaire ?  Avait-il, lui aussi, décidé de l’emplacement exact de notre accouplement afin de pouvoir, à notre tour, être observés ? Avait-il déjà joué à ce jeu avant une précédente locataire ?

J’avoue avoir espèré qu’il revienne, seul ou accompagné de la voyeuse que je me suis plu à imaginer… Mais, le lendemain, aucune bouteille, aucun signe, et, tard dans la nuit, j’ai finalement tourné la clé de la porte d’entrée. Je n’ai pas dansé sur la terrasse, mais écrit, écrit, jusqu’au matin.

J 7.
En flânant une dernière fois dans ce village où je ne reviendrai pas, j’ai réalisé que cet homme ne m’avait même pas laissé un prénom, qu’il serait à jamais l’étoile filante qui justifierait ma fugue salutaire au milieu de nulle part. J’aurais pu déposer des mots, du vin, un petit caillou ou une petite culotte devant sa porte… À quoi bon ? Ce n’était même pas une histoire, juste un intermède, une sorte de faille spatio-temporelle, un secret, peut-être une hallucination…

Dans le TGV me ramènant vers le nord, j’ai regardé les paysages brûlés par la canicule, et les vignes à perte de vue… me disant qu’elles produisaient un vin qui m’avait vraiment, vraiment, fait du bien…

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