Le dos de Marcus

Il dit 2019, moi je pense 2018. Ma folle année.
Je mitraillais vos dos sur les lits blancs de l’hôtel, à dix minutes à peine de chez moi. Collection-nuancier de vos peaux, entomologiste de mes papillons d’après-midi…
Hasard ? Non, synchronicité plutôt, le coup de mon ange coquin… comme à chaque fois que le manque me fait souffrir, le manque de la peau du fantôme se frottant à la mienne, le manque de son souffle se mêlant au mien,  un esprit malin m’évite le temps du doute, le temps de pleurer et de me faner, en faisant ressurgir un joli souvenir, un homme d’avant l’Amour, un homme-jeu, un amant-parenthèse, sans enjeu.

Je fouille dans mes albums, vos queues, vos épaules, vos nuques, vos culs… vos dos. Je jouais avec la lumière, les reflets, l’huile… Charbon, métal, terre brûlée… Sur ces lits de chaîne bon marché, dont la neutralité sublimait la ronde-bosse sombre de vos corps musclés, je jouissais d’abord des yeux et des mains…
Je me souviens de vous, tous, et de loin en loin, il arrive que vous me réclamiez, encore…
« Tu rencontres toujours ? »
Je devine les ruptures, les nouvelles libertés, les déménagements, les changements de vie… Je suis encore dans vos répertoires, me demandant si vous avez rédigé un mémo devant mon numéro, pour vous souvenir ainsi, si bien, de mon métier, de ma situation, de mes confidences… Si vous avez une liste de vos partenaires du passé, si vous ratissez large, si vous êtes vraiment sincères…

Ce dos là, je sais, je le reconnais, c’est celui de Marcus. La chaîne à son cou, ses cheveux coupés ras, militaire au loin, rarement chez lui, près de chez moi. Alors quand, le jour même où je me replonge dans ma collection, il prend de mes nouvelles, après toutes ces années étranges, je sais que mon ange lubrique a comme projet de faire revenir ceux qui sauront m’aider à me réparer…

Une fois, une seule fois… Et pourtant je me souviens si bien de ce moment, l’instant exact de la photo. J’ai oublié son visage et ses caresses, son rythme et sa voix. Mais pas son dos.

Qu’il revienne un jour ou non, l’important n’est pas là. Dans cette singulière facétie de la concordance de temps, une disparition et une réapparition, je continue à vivre, alors que j’étais anéantie, foutue, bonne pour la casse, paria au royaume des désirs…

Non, ce n’est jamais fini.
Le jeu continue.

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